Psychomotricienne depuis plus de dix ans, j’ai travaillé auprès de la petite enfance, dans le milieu du handicap (enfants et adultes) et avec des personnes âgées (avec et sans démences). J’exerce aujourd’hui en libéral. Tout au long de ma pratique j’ai pu utiliser la formidable médiation qu’est le toucher thérapeutique.

Qu'est-ce que le toucher thérapeutique ?
C’est une pratique qui consiste à appliquer des pressions longues, lentes et douces avec toute la surface interne des deux mains sur le corps d’une personne (allongée ou assise), partie du corps par partie du corps, pour finir par un toucher global venant (ré)unifier l’ensemble du corps.
Contrairement au massage, les mains sont posées sur le corps de façon immobile pendant un certain temps (de plusieurs secondes à une minute). Ce contact est enveloppant et sécurisant, épousant les formes et les contours du corps.
Le contact tactile (contact des mains avec la peau ou les habits de la personne), ainsi que la chaleur dégagée par les mains, aident le sujet à se recentrer sur lui-même et sur ses sensations corporelles (coupant ainsi l’intellect). Cela lui permet de ressentir, et donc de prendre conscience, des différentes parties composant son corps. Il prend également conscience de son enveloppe corporelle, c’est-à-dire de la limite qui le sépare du monde extérieur, qui sépare le dedans du dehors.
« Le corps est le lieu de notre ancrage au monde, il constitue et matérialise physiquement notre être ».
Retours d’expériences des bienfaits du toucher thérapeutique que j’ai pu observer au cours de ma pratique professionnelle.
- Annie, 40 ans porteuse de la chorée de Huntington

Cette maladie touche principalement ses membres inférieurs avec des mouvements involontaires et incontrôlés, sources de douleurs.
Pendant plus d’un an, une fois par semaine, elle me demandait systématiquement le toucher thérapeutique.
Elle m’a un jour partagé que le seul moment de la semaine où ces mouvements réflexes et douloureux de ses jambes s’atténuaient, c’était durant ces séances, en particulier lors du toucher thérapeutique.

- Jean, 50 ans, victime d’un AVC
Il a entrainé une hémiplégie d’un côté du corps et une hémiparésie de l’autre, ainsi que des douleurs neuropathiques constantes. Il présentait également un syndrome dépressif. Il me demandait chaque semaine de réaliser le toucher thérapeutique en symétrie, c’est-à-dire en appliquant mes mains simultanément de chaque côté de son corps, en appuyant plus fort du côté où il avait perdu une grande partie de sa sensibilité proprioceptive. Il m’a alors exprimé que cela lui permettait de se réapproprier son corps, de le vivre le temps d’un instant comme « normal », c’est-à-dire comme avant : sans déséquilibre et sans se sentir scindé en deux parties distinctes, avec deux hémicorps séparés ne faisant plus partie d’un même corps. Cela lui a permis d’éprouver à nouveau son corps de manière globale, comme une seule et même unité.
Par ailleurs, il m’a fait part que les temps de toucher thérapeutique représentaient les rares moments de sa semaine où il parvenait à oublier un peu ses douleurs neuropathiques, et à vivre son corps au travers du plaisir, lui permettant ainsi de l’investir narcissiquement.
- Josy, porteuse de TSA (trouble du spectre autistique)
N’ayant pas la communication verbale, cette jeune femme présente une importante déficience intellectuelle et de grandes difficultés pour habiter et investir pleinement son organisme. Elle souffre d’hypertonie musculaire constante et généralisée à tout le corps, entravant largement sa motricité, ses déplacements et son autonomie (nombreuses chutes lors de la marche, difficultés à monter/descendre une marche, difficultés à s’alimenter seule…).
Je lui ai alors proposé deux fois par semaine le toucher thérapeutique (en nommant chaque fois les parties du corps sollicitées), afin de l’aider à prendre conscience de son corps, autrement que par un recrutement tonique permanent source de fatigue, de douleurs, d’un vécu corporel désagréable (c’est-à-dire au travers de tensions).

En à peine six mois l’évolution était flagrante : elle n’avait plus besoin de contracter ses muscles pour ressentir son corps (c’est-à-dire pour se sentir exister).
Le toucher thérapeutique, associé à la nomination des différentes parties du corps touchées l’avaient aidée à intégrer son schéma corporel (c’est-à-dire à construire et à intégrer une représentation mentale de son corps). Son tonus musculaire a alors pu être libéré pour être mis au service (de manière fonctionnelle et optimale) de la motricité. Ses mouvements sont devenus bien plus fluides et efficients, avec une réelle détente corporelle (et par conséquent une détente psychique).

- Nathanaël, 7 ans, porteur du syndrome du X fragile.
Il ne parvient pas à filtrer l’innombrable quantité des informations sensorielles provenant de son environnement, il les subit et se trouve sans cesse parasité.
Il les vit comme des intrusions constantes dans sa tête et dans son corps et ne parvient pas à intégrer une enveloppe corporelle stable, sécurisante, contenante.
Ainsi, il venait fréquemment coller physiquement les adultes, ou cherchait des objets comme des couvertures lestées afin de matérialiser et ressentir momentanément une enveloppe corporelle qui le sécurise. Le toucher thérapeutique a constitué l’une des médiations principales permettant à Nathanaël de se poser, de se recentrer sur lui-même, d’intégrer progressivement l’enveloppe corporelle qui lui faisait défaut. Chaque fois après ces séances, et ce durant une ou deux heures, Nathanaël se montrait bien plus apaisé, serein, sécurisé, calme, centré et disponible (physiquement et psychiquement).
- Hassan 12 ans avec TSA
Il a tendance à frapper certaines parties de son corps (avec ses mains ou contre un mur) lorsqu’il ne va pas bien ou qu’il est angoissé.
Après de nombreuses séances où je lui ai proposé le toucher thérapeutique, et plus précisément des pressions fortes sur les parties du corps qu’il souhaitait.
Il a progressivement arrêté ces comportements auto-agressifs. A la place, il s’est saisi de pictogrammes pour venir nous demander des pressions profondes là où il le souhaitait lorsqu’il en ressentait le besoin.

Enfin, pour l’avoir utilisé autant avec les enfants qu’avec les adultes, j’ai pu constater que le toucher thérapeutique constitue également un excellent outil pour des personnes ayant des difficultés d’endormissement, afin de les accompagner vers le sommeil.
En conclusion, j’ai pu constater au fil de ma pratique de nombreux apports positifs du toucher thérapeutique, tels que :
- L’apport de plaisir (production de sérotonine, d’endorphine, d’ocytocine)
- L’apport de détente, de calme, de bien-être
- La (re)connexion à soi et à son corps, dans le moment présent
- La prise de conscience du corps (intégration du schéma corporel et de l’enveloppe corporelle)
- L’apport d’un sentiment d’unité et de sécurité
- L’établissement/rétablissement d’une communication qualitative et du lien humain
- Le sentiment d’exister et d’être reconnu comme un individu à part entière (et non noyé dans une collectivité)
- Le sentiment d’exister en tant qu’être humain, et non uniquement comme un corps instrumentalisé, médicalisé, technicisé, manipulé…
- Le sentiment de posséder un corps capacitaire (capacité de plaisir, de relation/communication…)
- L’amélioration de l’image du corps (investissent narcissique du corps)
- L’augmentation de l’estime de soi et de la confiance en soi
- Une amélioration de l’arrière-fond tonique, de la motricité et des coordinations motrices
- L’atténuation de certains symptômes (hypertonie/tensions musculaires, chorées…) et de certaines douleurs (douleurs musculaires, douleurs chroniques/psychogènes…)
- Une facilitation de l’endormissement
- Une diminution du stress, de l’anxiété et de certaines angoisses…
Par ailleurs, il existe une multitude d’études révélant de nombreux autres apports et bénéfices du toucher, telles que :
- La méthode d’Harlow qui consiste à séparer des jeunes macaques nouveau-nés de leur mère, et de leur proposer alors deux substituts maternels : un en métal, froid et donnant du lait – et l’autre recouvert de tissu et dégageant de la chaleur, mais ne fournissant pas de lait. Sauf pour se nourrir, les jeunes macaques allaient alors systématiquement se blottir auprès de la fausse mère douce et chaude. Cette expérience montre à quel point la satisfaction des besoins primaires ne suffit pas au bien-être des mammifères : le besoin d’un contact physique avec autrui est indispensable, permettant d’apporter sécurité, chaleur, tendresse, amour, sécurité affective, attachement…
- La méthode Kangourou, qui a été développée en Colombie auprès de nourrissons avec un petit poids de naissance. Elle a été proposée en raison de la surpopulation des pouponnières et du coût élevé des soins néonatals, malgré un taux élevé d’infections et de mortalité. Les mères étaient invitées à garder leur enfant contre elles en peau à peau tout au long de la journée. Dans les pays en développement, cette pratique a permis de réduire le taux de mortalité, les maladies graves, les infections, la durée des hospitalisations…
- Celle consistant à empêcher des chattes de se lécher le ventre durant leur grossesse, ainsi que d’empêcher des chattes qui viennent de mettre bas de lécher leurs chatons à leur naissance. Dans le premier cas de figure il a été observé que la grossesse se déroulait mal, et dans le deuxième cas, que les chatons se développaient mal, avec un mauvais fonctionnement des organes et des systèmes vitaux. En effet, outre l’effet apaisant et sécurisant du léchage, celui-ci permet, par l’apport de stimuli tactiles, de faire exister le corps et les différents éléments le constituant (organes, systèmes biologiques/physiologiques, …), et ainsi de favoriser un développement et un fonctionnement optimal de l’organisme.
Auteur : Sarah Caron – formatrice Toucher Relationnel – Somoba
Février 2023
Belles perspectives en psychomotricité, Le toucher pour créer du lien complète vraiment l’approche Snoezelen