“Snoezelen et personnes présentant la maladie d’Alzheimer ou troubles apparentés : regards des soignants”

Quand les sens donnent du sens

Vanessa Masset-Gouthière, psychologue clinicienne, USLD de Puteaux, CHCNP (Centre Hospitalier Neuilly-Courbevoie-Puteaux)

Résumé : L’objectif de ce travail est de présenter l’approche Snoezelen et de savoir si la mise en place de celle-ci par les soignants prenant en soin au quotidien des personnes ayant une maladie d’Alzheimer ou un trouble apparenté influe sur leur relation, leur communication avec les personnes soignées et leur représentation de la maladie.

Dans un premier temps est développé le concept « Snoezelen », ses fondements, son évolution et les pratiques actuelles qui en sont issues.

Dans un second temps l’enquête menée auprès des soignants est présentée. Elle a été réalisée auprès de deux groupes de professionnels exerçant dans des services similaires, l’un en intégrant l’approche Snoezelen au sein de la prise en soin et l’autre non. Avec chacun ont été réalisés des entretiens semi-directifs et des auto-questionnaires concernant leur ressenti et leurs représentations quant à la maladie d’Alzheimer, ses modes de relation et de communication, afin de voir s’il existait des différences entre les deux groupes.

Les résultats issus de la comparaison des questionnaires entre ces deux petits groupes de soignants ne sont statistiquement pas significatifs. Toutefois les rencontres avec les différents acteurs et experts de terrain m’ont permis d’approfondir ma réflexion quant à la pratique Snoezelen et la relation soignant-soigné présentant une maladie d’Alzheimer ou troubles apparentés.

Lors de la passation d’un Diplôme Universitaire, axé sur les approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés, j’ai été amenée à m’interroger sur l’intérêt de l’approche Snoezelen en gériatrie, et plus particulièrement sur la manière dont elle influence le regard que portent les soignants sur les soignés.

Le terme « snoezelen » est un néologisme : contraction des mots néerlandais « snuffelen » qui signifie renifler, flairer, fureter et « doezelen » qui signifie somnoler, estomper, adoucir. Ces deux termes renvoient aux deux dimensions principales du concept : l’une plutôt active de découverte, curiosité, stimulation, l’autre davantage passive, renvoyant au calme, à la sérénité et à la détente. (1)

Snoezelen EHPAD

Le concept Snoezelen est né il y a une quarantaine d’années. Il a été créé par deux psychologues hollandais, Jan Hulsegge et Ad Verheul dans les années soixante-dix. Leur objectif premier était de maîtriser certaines réactions d’agressivité de leurs patients polyhandicapés par le biais de la stimulation des sens, du plaisir à recevoir des sensations agréables et ainsi minorer l’utilisation de traitements médicamenteux. (2)

Le concept Snoezelen se développe en France à la fin des années 80 dans les établissements d’adultes polyhandicapés puis s’est étendu une décennie plus tard au monde gériatrique.

Aujourd’hui l’approche Snoezelen est appréhendée de manières diverses en fonction des professionnels qui la pratiquent et des politiques des lieux où elle est mise en place. Elle peut être inscrite dans une réalité matérielle bien identifiée et aller jusqu’au développement d’une véritable « philosophie » d’accompagnement, l’une n’excluant pas l’autre.

Snoezelen EHPAD

La personne soignée, accompagnée du soignant, est invitée à explorer de manière libre et non-directive les différents éléments de l’espace Snoezelen. Elle va s’attarder longuement sur certains, en ignorer d’autres… Les équipements de la salle sont mis en route de manière très progressive afin d’éviter toute sur-stimulation et chaque séance dans l’espace Snoezelen nécessite une période de transition à l’entrée et à la sortie de la salle. Dans cet espace certaines personnes seront plus dans la dimension « snuffelen », explorant activement tout le matériel proposé et d’autres dans la dimension « doezelen », s’assoupissant sur le matelas à eau en écoutant les bruits de la forêt diffusés dans la salle.

Ainsi la pratique Snoezelen peut être circonscrite à un lieu dédié, une pièce s’obscurcissant et équipée d’un matériel proposant des stimulations variées (colonnes à bulles changeant de couleur, matelas à eau, tube vibrant, musique, diffuseur d’arômes, projecteur d’effets visuels, petites balles de textures différentes etc.). 

Le Snoezelen fait appel aux cinq sens, au système vestibulaire et à la proprioception.

Snoezelen EHPAD

Le Snoezelen tend également à se développer « hors les murs » des salles dédiées, sous forme de chariot mobile contenant un petit matériel de base qui permet de venir réaliser des séances au lit du patient, jusqu’à une approche globale où la dimension « Snoezelen » sera intégrée aux accompagnements quotidiens, toilette, repas, activités ludiques etc. où l’accent est mis sur la dimension sensorielle de ces moments.

Selon les politiques d’établissements la pratique Snoezelen est portée par des «experts», professionnels dûment formés (psychomotriciens, psychologues, ergothérapeutes…), pouvant exercer seul, en binôme, transmettre leurs compétences à une équipe élargie. L’ensemble des

« soignants du quotidiens » (auxiliaire de vie, aide-soignant …) d’un service peut aussi être sensibilisé à cette approche afin de l’intégrer aux accompagnements de la vie quotidienne. Dans ce cas une supervision régulière d’équipe par un expert est toujours vivement conseillée.

L’approche Snoezelen en tant que philosophie du soin se définit par une relation particulière qui prend appui sur la sensorialité de la personne. Elle n’est donc pas assimilable à une méthode, technique ou thérapie. C’est un événement dans le moment présent, une expérience personnelle, un vécu intérieur. (3)

Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici est la manière dont cette approche va influencer les relations soignants-soignés.

Si dans la littérature nous pouvons lire de nombreux travaux étudiant les effets de l’approche Snoezelen sur certains troubles psycho-comportementaux liés à la maladie d’Alzheimer, en revanche peu d’études se sont attachées à analyser les effets de cette approche du côté des soignants, sur leur relation, leur communication et leur manière de ressentir leur travail auprès des personnes présentant une maladie d’Alzheimer ou des troubles apparentés.

Dans sa thèse traitant de l’évaluation des effets de la stimulation sensorielle auprès des personnes âgées atteintes de syndromes démentiels Lehnhart émet l’hypothèse que la stimulation sensorielle permet de réduire le stress de l’équipe soignante prenant en charge les patients ayant un syndrome démentiel. 

Il mesure celui-ci par l’item « retentissement émotionnel sur l’entourage » coté pour chaque trouble du comportement présent dans le NPI (Inventaire Neuropsychiatrique). Même si la significativité est faible Lehnhart confirme son hypothèse. (4)

Une étude néerlandaise démontre que l’introduction de l’approche Snoezelen dans une unité de vie spécialisée dans la prise en soin de personnes souffrant de syndrome démentiel améliore la qualité de travail des soignants. Les résultats sont significatifs concernant la pression du temps, la manière de percevoir les problèmes, les réactions au stress ou encore l’épuisement émotionnel. (5)

Une autre étude s’est attachée à observer les processus de changement liés à l’implantation de l’approche Snoezelen dans les soins quotidiens d’une unité de vie spécialisée dans l’accueil des personnes souffrant de syndrome démentiel. Les résultats de cette étude montrent que l’implantation de l’approche Snoezelen a permis de passer d’une pratique soignante centrée sur les soins techniques à une pratique soignante centrée sur le résidant. Des changements au niveau des résidants ainsi que des changements organisationnels ont également été mis en évidence, du moins quand les conditions du changement sont favorables (organisation hiérarchique, pratique etc.) (6)

Les mêmes auteurs ont mené une étude sur les effets de l’approche Snoezelen sur la communication entre les soignants et les résidants quand cette approche est intégrée aux soins quotidiens dans une unité accueillant des personnes souffrant de syndromes démentiels.

Cette étude met en évidence l’importance de sensibiliser les soignants « du quotidien » (ici des infirmières diplômées) effectuant des soins dits « instrumentaux » ( ici la toilette) afin de bonifier de manière significative la prise en soin globale en améliorant la communication, la relation, de manière quantitative et qualitative, entre soignants et résidants. (7)

Infirmier

Eu égard ces différents éléments la question qui guida mon travail fut la suivante :

« Quelle est l’influence de la pratique de l’approche Snoezelen sur la manière dont les soignants perçoivent la relation avec les soignés ? »

J’ai choisi d’axer mon travail sur les professionnels (aide-soignant, auxiliaire de vie, aide médico-psychologique) qui accompagnent des personnes touchées par la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés dans les soins délicats que sont la toilette, le change, le repas etc. 

Ces accompagnements de la vie quotidienne sont porteurs d’enjeux importants, et de risques aussi : la relation à l’autre-malade y est parfois désincarnée, celui-ci étant alors considéré, par défense, comme un objet que l’on lave, nourrit…ce qui peut générer des comportements de négligence voir maltraitants.

Les professionnels rencontrés travaillent dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes spécialisé dans l’accueil de personnes présentant une maladie d’Alzheimer et troubles apparentés. Ces soignants ont été sensibilisés à l’approche Snoezelen. J’ai réalisé avec eux des entretiens semi-directifs concernant leur pratique professionnelle et à chacun a également été proposé un auto-questionnaire de dix items axé sur leur perception de la relation, la communication et le travail avec les résidents accompagnés.

La même démarche a été réalisée auprès de soignants aux fonctions et lieux d’exercices comparables mais n’ayant pas été sensibilisés à l’approche Snoezelen afin de voir s’il était possible d’observer des différences dans leur manière de percevoir leur relation d’accompagnement avec les soignés.

Soignants

Si les résultats issus de ce travail, se basant sur un très petit échantillon de professionnels, n’ont pas de significativité statistique, il est très intéressant de s’attacher au discours exprimé par les soignants pratiquant l’approche Snoezelen.

En effet, les soignants rencontrés témoignent tous de l’enrichissement professionnel que leur procure la pratique de l’approche Snoezelen. Face au sentiment d’impuissance bien connu des soignants en gériatrie celle-ci est considérée par eux comme une approche efficace et probante pour entrer en relation avec des personnes dont la maladie faisait parfois douloureusement barrage à la communication et la relation, pouvant générer incompréhension et découragement.

Une soignante exprime sa surprise de voir à quel point des résidants qui semblaient isolés et exprimaient « très peu de choses » dans le service pouvaient au sein de l’espace Snoezelen se montrer très souriants, très réactifs, semblaient « heureux ». Elle raconte que c’est ainsi qu’elle les a vraiment découverts et qu’elle a vu « des choses d’eux » qu’elle ne connaissait pas. Ainsi elle les perçoit différemment dans les services.

Les soignants expliquent que les séances Snoezelen leur ont permis d’entrer en relation de manière privilégiée avec les résidants et ainsi de porter un regard différent sur la Personne. Ils disent avoir ainsi pu se montrer plus compréhensifs et tolérants envers certains troubles psycho-comportementaux exprimés par les résidants dans l’unité qu’il leur était avant parfois difficile à accepter.

Snoezelen EHPAD Ajaccio

Une soignante me relate une expérience qui a été très forte pour elle avec un résidant qui était dans un important repli sur soi et une absence de communication verbale au sein de son service d’accueil, ce qui la troublait beaucoup, et a évoqué son père lors d’une séance Snoezelen. Elle explique le « voir différemment » depuis quand elle le rencontre dans le service.

La pratique de l’approche Snoezelen est pour les professionnels très valorisante, elle donne du sens à leur travail au quotidien et est considérée comme stimulante et source de satisfaction du fait que, par son biais, ils éprouvent un sentiment d’utilité et de renforcer leurs bonnes pratiques.

Une soignante explique que les accompagnements qu´elle a réalisé avec les résidents dans la salle Snoezelen lui ont fait comprendre que l’on peut aller « plus loin » dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, ce qui lui apporte un sentiment de satisfaction dans son travail, « je vois que je peux avoir une action avec ces personnes malades» dit-elle.

Les soignants expriment le désarroi qu’ils ressentent face à certains résidents dont le repli sur soi, les cris, la ténuité voire l’absence de communication verbale les mettent particulièrement en difficulté et questionnent leur capacité à être aidants, « utiles à quelque-chose » avec ces personnes « dans un autre monde ». Lorsque nous abordons avec les professionnels qui la pratiquent l’approche Snoezelen des chemins possibles de relation avec les personnes malades se dessinent.

Face à des personnes présentant un trouble type maladie d’Alzheimer très évoluée il est parfois difficile pour les soignants de voir le « sens » de leur travail, allant d’un « avant » à un « après » maladie. En effet ici il n’y a pas d’évolution possible vers une guérison de la maladie ou une atténuation durable de ses symptômes. Le rôle traditionnel du soignant est mis à mal. L’approche Snoezelen permet à ces professionnels de s’inscrire dans une autre temporalité avec les soignés où le présent, l’ici et maintenant, prend toute sa place et où « soigner » se transforme en « accompagner ».

 

EHPAD SNOEZELEN

L’approche Snoezelen leur permet également d’aborder de manière plus concrète un autre mode de communication, qui, de par sa primauté dans le développement, n’a plus rien d’évident consciemment pour les soignants et devient le plus évident pour les soignés touchés par une maladie d’Alzheimer : la communication non-verbale. La matérialité des «objets» utilisés dans les espaces snoezelen permet aux soignants de prendre un appui sécurisant pour aller vers ce mode de communication qui ne leur ait pas le plus familier.

Une soignante explique que quand elle est dans la salle Snoezelen avec les résidants elle sent qu’ « ils ressentent beaucoup de choses » : « ils parlent avec leur regard » dit-elle.

Elle raconte une séance qui l’a particulièrement marquée avec une résidante qui était très émue, a eu « un grand sourire » en contemplant les colonnes à bulles, « elle ouvrait grands les yeux, alors qu’habituellement elle n’exprime pas autant de choses ».

Elle explique que jusqu’à présent tous les résidents qu’elle a accompagné dans l’espace Snoezelen ont apprécié et que si elle ne peut pas expliquer ce qu’il se passe « dans leur tête » elle voit « sur leur visage » que cela leur procure beaucoup de bien-être.

L’approche Snoezelen est particulièrement bien adaptée aux personnes présentant une maladie d’Alzheimer ou un trouble apparenté car elle utilise le chemin préservé de la sensorialité. Ici il n’est pas question de recherche de performances cognitives, de « réadaptation » de la personne désorientée à la « réalité » mais d’un trajet inverse : de l’adaptation du soignant à la temporalité et au mode de communication du soigné.

Comme le dit Line Berbigier Eschauzier (8) « L’approche Snoezelen aide énormément le soignant à se transformer. Ce n’est pas une pratique stéréotypée. Il y a une intention de « réveiller le vivant » qui est en l’autre et en nous, il y a une réciprocité. Les soignants peuvent être dans une relation affective sans être dans l’émotion. ».

Il serait intéressant de mener cette étude avec un nombre plus important de soignants afin de voir si l’hypothèse de départ se confirme sur le plan de sa significativité statistique. Les témoignages des soignants furent une source importante d’enseignement quant à leur vécu avec les personnes qu’ils accompagnent et permet de comprendre un certain nombre de comportements.

L’approche Snoezelen, de par les expériences relatées par les soignants, semble bien avoir un impact sur leur relation avec les personnes malades, en modifiant leur manière de communiquer avec elles et leurs représentations de la maladie.

Des travaux similaires, réalisés en se basant sur d’autres approches non-médicamenteuses reconnues de la maladie d’Alzheimer et plus largement des « personnes désorientées », mettraient sans doute mis en exergue des bénéfices comparables concernant la relation soignant-soigné.

Ce qui ressort de ce travail est l’intérêt d’explorer la relation par la voix de la sensorialité avec les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou un trouble apparenté et de donner aux soignants la possibilité de réinjecter du sens à leur travail par le biais de la sensibilisation à des approches qui permettent d’appréhender la singularité des personnes accompagnées.

Pour en savoir plus sur l’approche Snoezelen en EHPAD, cliquez sur le bouton ci-dessous.

Bibliographie

  1. Stéphanie Orain, (2008), « le snoezelen », Gérontologie et Société, N°126, septembre
  2. Claire Dhinaut, (2008), « le concept Snoezelen », Doc’Gérontolgie
  3. Defay Françoise, (2008), «Exploration des processus archaïques mis en jeu dans l’expérience Snoezelen de patients pris en charge en psychiatrie adulte », Mémoire de licence en Sciences Psychologiques, Université libre de Bruxelle)
  4. G.Lehnhart, F.Penin, F.Paille, G.Barroche, M.Dumay, S. De Nadai, V.Beziaud, Hamm, (2004), «Evaluation des effets de la stimulation sensorielle par la méthode snoezelen auprès des personnes âgées atteintes de démence », L’année Gérontologique & G.Lehnhart, (2001), «Evaluation des effets de la stimulation sensorielle par la méthode snoezelen auprès des personnes âgées atteintes de démence », Thèse de Médecine
  5. Van Weert JC, Van Dulmen AM, Spreeuwenberg PM, Bensing JM, Ribbe MW, (2005),“The effects of the implementation of snoezelen on the quality of workinglife in psychogeriatric care”, Int , 17(3) : 470-27, Sep
  6. Julia C.M van Weert, Alexandra M. van Dulmen, Peter M.M. Spreeuwenberg, Miel Ribbe, JozienM. Bensing,(2005), Patient Education and Counselling, 58, 312-326
  7. Van Weert JC, Kerkstra A, Van Dulmen AM, Peter GJ, Bensing JM, Ribbe MW, (2004),“The implementation of snoezelen in psychogeriatric care : an evaluation through the eyes of caregivers”, International journal of nursing studies, 41, 397-409
  8. Line Berbigier Eschauzier, (2012), « Snoezelen, la maladie d’Alzheimer & la communication dynamique non directive », éditions Pétrarque

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